Myriam Ait Amar collection l’Envolée carolinesweetmemories
Myriam Ait Amar collection l’Envolée carolinesweetmemories

Myriam Ait Amar collection l’Envolée – Photo Credit : carolinesweetmemories

 

Partager un bon repas autour d’une table joliment dressée constitue toujours un délicieux moment de convivialité. Alors que nous fêtons le 10ème anniversaire du classement du repas gastronomique des français par l’UNESCO, les 280 ans de la Manufacture de Sèvres ou le bicentenaire de la faïencerie de Gien, le sujet des Arts de la Table n’a jamais été aussi tendance. Profondément ancré dans la tradition française, l’art de la table s’adapte aujourd’hui à nos nouvelles façons de vivre et de manger pour se faire expérience. Tour d’horizon d’une petite révolution.

Mais au fait les Arts de la Table, qu’est-ce que c’est ?

Les arts de la table sont les arts associés aux repas pris en commun. Ils intègrent la connaissance des mets, des boissons, de la verrerie et de la cristallerie, de la porcelaine et de la faïence, le linge de table, la disposition de la vaisselle sur la table, la décoration de la table, l’étiquette, les manières de table, le service et même les menus. En bref, tout ce qui fait la beauté de nos tables. Et c’est justement tout cela que met en avant la très belle exposition imaginée par la Manufacture Royale de Sèvres à l’occasion de ses 280 ans (à savourer jusqu’au mois de juin 2021) https://www.sevresciteceramique.fr. Sur quelques 1000 m2, près de 1 000 pièces originales constituent une scénographie singulière invitant le visiteur à un voyage gourmand autour du repas des français, de l’Antiquité à nos jours. Le Musée National a mis les petits plats dans les grands afin de rappeler, si besoin est, l’importance que revêt le repas gastronomique qui accompagne depuis toujours les grands évènements dans notre pays. Une délicate manière de célébrer la convivialité, le partage et la transmission d’un précieux savoir-faire ancestral.

Exposition Manufacture de Sèvres

Manufacture de Sèvres. Exposition À Table ! Le repas tout un art.

 

Si autrefois les arts de la table étaient synonymes de luxe, de prix inaccessible, d’objets familiaux dont on héritait ou que l’on consignait sur sa liste de mariage pour ensuite les conserver durant toute sa vie (le fameux trousseau de la mariée), au 21ème siècle, le sujet des arts de la table s’est désacralisé jusqu’à devenir très en vogue, y compris auprès des jeunes générations. Les achats de vaisselle et d’accessoires de la table sont entrés dans nos comportements quotidiens de consommation. Toutes les enseignes Lifestyle grand public proposent des rayons consacrés aux arts de la table très bien achalandés et à des prix généralement abordables. Aujourd’hui, si certains objets ou coutumes liés au dressage de la table paraissent bien désuets, on accorde cependant de plus en plus d’intérêt à la fonction décorative et en particulier lorsqu’il s’agit de recevoir et d’apprêter sa table.

 

La table, un art toujours dans le vent

Nos modes de vie ont changé, le rituel selon lequel la famille se réunissait immanquablement trois fois par jour autour d’un repas tend radicalement à disparaître. Si les arts de la table demeurent l’une des valeurs immuables de notre patrimoine culturel, du couvert dépouillé du Moyen-Âge au style scandinave Hygge ou à l’épure inspirée de l’art de vivre japonais, les quinze siècles qui se sont écoulés ont été marqués par des transformations profondes. Ces mutations n’ont cependant pas altéré notre engouement pour l’art de la table qui est plus que jamais dans l’air du temps.

Les règles et conventions d’usage jusqu’aux années 60-70 s’effacent pour laisser place à davantage d’audace et pourquoi pas de folie. On note une dualité dans les comportements. Dun côté, les français accordent à nouveau beaucoup d’attention à l’esthétique de leur table lorsqu’ils reçoivent, mais il en va différemment dans leur quotidien où ils ne prennent plus guère le temps de se poser pour savourer un repas.

 

À l’image de nos vies, multiples et trépidantes, le repas et les règles qui l’entouraient deviennent moins formels.

 

On grignote rapidement entre midi et deux sur un coin du bureau, le soir, le dîner se déguste sur une table basse devant la télévision, ou autour d’un apéritif dinatoire entre copains. Au 21ème siècle, la table devient nomade et décomplexée jusqu’à casser tous les codes en vigueur.

La très honorable faïencerie de Gien, créée en 1821 par l’anglais Thomas Hall, qui célèbre cette année ses 200 ans, a intégré ces nouvelles habitudes dans son processus créatif. Depuis quelques années des pièces plus adaptées à ces grignotages délocalisés sont imaginées dans les ateliers. Les céramistes maison ont ainsi surfé sur la tendance du phénomène des Bowls venus d’Asie en créant « les assiettes gourmandes » qui connaissent un vif succès. Sans aile, leur forme creuse, très contemporaine, permet de déguster un plat de pâtes, une salade ou un Poke Bowl en toute décontraction.

Manufacture de Gien Collection Jardin du palais

Manufacture de Gien – Les assiettes gourmandes façon Bowl

Dans les arts de la table, il y va des tendances comme des saisons, tout va très vite.

Les collections se succèdent au gré des salons pour toujours séduire davantage les jeunes générations et s’adapter aux nouveaux modes de consommation.

Depuis quelques années, afin de rester dans l’air du temps, les pièces de vaisselle flirtent avec le design jusqu’à devenir des œuvres d’art toujours plus désirables.

A Gien, la manufacture va notamment offrir des cartes blanches à des artistes qui feront naître des pièces uniques de décoration en édition très limitée. Une Maison de la création accueillera aussi tout au long de l’année des artistes en résidence. 80% des collections contemporaines seront ainsi issues de collaborations avec des artistes ou des créateurs. Paco Rabanne ou Andrée Putman avaient déjà ouvert le pas dans les années 70-80 et, plus récemment, l’éditeur de tissus Pierre Frey a signé la collection iconique « Jardin du Palais ».

Manufacture de Gien Collection Jardin du palais

Manufacture de Gien Collection – Jardin du Palais by Pierre Frey

 

Chez Bernardaud, c’est Jeff Koons qui met depuis quelques années ses talents créatifs au service de pièces exclusives éditées par la Maison. Avec « Diamond Red », il s’agissait de reproduire fidèlement l’œuvre originale de l’artiste, haute de 2 mètres, issue de la série « Celebration ». Surfaces réfléchissantes, arêtes vives, couleur unique répliquée à l’identique, surface extrêmement lisse, un véritable défi technique et artistique relevé par la Maison Bernardaud afin de répondre aux exigences de l’artiste.

Bernardaud Diamond Red Jef Koons

Bernardaud Red Diamond by Jeff Koons

En mettant l’art au service des arts de la table, l’enjeu est double, dépoussiérer les lignes et créer de pièces iconiques capables de devenir de véritables signatures maison. Ces collaborations artistiques constituent de surcroît un atout de taille en termes de communication.

Mais attention les grandes Maisons sont unanimes, s’il s’agit d’être visible sur un marché ultra concurrentiel et en constante mutation, en accompagnant les attentes des futures générations, il n’est cependant pas question de renier pour autant leur image ni les savoir-faire ancestraux qui les caractérisent. C’est d’ailleurs ce subtil dosage entre tradition et modernité qui fera l’ADN de la marque et assurera sa pérennité.

 

« À la faïencerie de Gien, nous scannons l’air du temps et les modes de consommation afin de séduire les nouvelles générations, tout en nous appuyant sur nos racines » Marc Bruneau Directeur Général de la Faïencerie de Gien

Manufacture de Gien

L’atelier de la Manufacture de Gien

 

Minimalisme de rigueur

Le temps des assiettes précieuses en porcelaine blanche, bordées de liserés d’or ou ornées de décors historiques surchargés et rococo semble révolu. Le marché des arts de la table offre aujourd’hui un plus large éventail de produits mais majoritairement caractérisés par leur sobriété. D’une manière générale, la tendance est assurément au minimalisme, les usages se simplifient entraînant notamment une contraction de la taille des services. Exit les multiples pièces de vaisselle dédiées à chaque mets. Pince à asperges, manche à gigot, porte-raviers, cuillères à moka, serpettes à glace, légumiers et soupières ont ainsi quasiment disparu de nos tables contemporaines. La maîtresse de maison ne possède plus un seul service composé de dizaines de pièces mais elle se laisse tenter par des séries beaucoup plus courtes, en moyenne six pièces maximum, que l’on renouvellera plus régulièrement afin de suivre les tendances, de rester à la page ou tout simplement pour se faire plaisir.

Serax Pure ©RoosMestdagh

Serax Collection Pure by Pascale Naessens

Minimalisme donc dans la taille des services mais également dans les matières et les décors en constante recherche d’authenticité, de simplicité ou de naturalité, des valeurs en résonnance avec le nouveau luxe alimentaire durable instigué notamment par le mouvement Slow-Food.

La table tend à devenir une scène dépouillée de tout superflu afin de permettre à l’œil de se concentrer sur l’essentiel, les mets. Avec également la volonté plus ou moins avouée de surprendre le convive par quelque aspérité inattendue.

Les assiettes rondes revisitées (bords mini ou maxi, sans aile), les gobelets fins à l’arrondi parfait, les carafes aux faux airs d’objets de laboratoire, le blanc, le noir ou l’anthracite demeurent des valeurs sûres.

Au 21ème siècle, quand on ne sait pas que choisir pour sa table, le minimalisme est toujours une bonne idée ! 

Avec le parti pris de l’épure, l’idée est de marquer le clair-obscur sur la table en fonction de la dominante colorielle du plat servi afin de le mettre délicatement en avant. Un minimalisme très étudié qui tire ses origines du Japon où l’on cultive depuis des siècles le retour à l’essentiel à travers une certaine forme d’esthétique minimaliste basée sur l’art de la simplicité.

SERAX Collection Inku

OGATA Paris

Située dans le quartier du Marais à Paris, OGATA est une Maison de thé moderne et un espace de vie pluriel. C’est un très bel hôtel particulier du 17ème siècle qui accueille cet incroyable écrin contemporain où l’on retrouve un salon de thé, un restaurant, un bar, une boutique ainsi qu’une galerie d’art. Issu d’une savante alchimie entre respect des traditions et esthétique tournée vers la modernité, ce lieu imaginé par le designer japonais Shinichiro Ogata (qui a notamment signé le décor de l’hôtel Andaz à Tokyo) cultive cet art de vivre épuré au quotidien. Paisiblement installé au restaurant ou au Sabō (salon de thé japonais), on admire les belles pièces de vaisselle créées par Ogata que l’on retrouvera à la boutique.

Résolument moderne, le décor se décline sur quatre niveaux avec quelques références à la culture nipponne distillées çà et là. Partout, il révèle la beauté de la tradition ancestrale pour la rendre plus visible, pertinente et accessible. https://ogata.com/paris/#1

OGATA Paris-SABO

Arts de la table Sabō – OGATA Paris

Séduits eux aussi par cette tendance à l’épure, les Chefs y voient souvent un moyen audacieux de mettre en scène leurs créations culinaires. Depuis quelques années, des quatre mains de haute voltige se créent entre céramistes et cuisiniers, aboutissant à des expériences gustatives exclusives. Ces collaborations artistiques apportent une note onirique à la table.

On se souvient notamment qu’avec ses assiettes légères et poétiques, Virginie Boudsocq, créatrice de la griffe Olga. etc, avait séduit le Chef Christopher Hache lorsqu’il officiait au restaurant l’Écrin à l’hôtel de Crillon. Depuis, elle associe ses talents à de nombreux chefs. http://olgaetc.com

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Créations Olga.etc

De leur côté, les fabricants jouent eux aussi la carte de la sobriété. SERAX, entreprise belge très présente dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration entend créer des moments de partage mémorables autour de nos tables. Avec la collection Inku, qui tire son inspiration d’une esthétique pure et intemporelle, la marque livre son interprétation très personnelle de l’équilibre parfait entre beauté et sobriété. Des pièces tout en harmonie et en rondeur imaginées par le Chef triplement étoilé Sergio Herman, en référence aux structures imparfaites de la nature et au concept esthétique Wabi-Sabi dérivé des principes bouddhistes.

 

La vaisselle Inku de SERAX atteint le raffinement ultime grâce à la perfection imparfaite de ses contours. 

SERAX Collection Inku

SERAX Collection Inku

SERAX Collection Inku

Nombre de céramistes adoptent aujourd’hui la pensée Wabi-Sabi, cet art de l’accident issu de la pensée japonaise qui sait trouver la beauté dans toute chose, même imparfaite. Myriam Aït Amar, créatrice très remarquée lors du dernier salon Maison & Objet, s’inspire parfois de cette approche philosophique pour créer des objets uniques, tout en délicatesse, qu’elle qualifie de moments de vie. Certaines de ses collections reprennent notamment les motifs des dentelles que confectionnaient ses aïeules, redonnant ainsi vie à un art ancestral à travers des pièces qui s’inscrivent pleinement dans l’air du temps. https://www.myriamaitamarceramics.com

Myriam Aït Amar Bols et assiettes Albertine carolinesweetmemories

Myriam Aït Amar Bols et assiettes Albertine – Photo Credit : carolinesweetmemories

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Façonner des pièces de vaisselle ou des décors de table, c’est apporter du beau dans le quotidien ! Myriam Aït Amar

Chez Bernardaud, c’est la technique du Kintsugi (rendre visible des réparations sur céramique faites avec un mélange de laque et d’or) qui a été réinterprétée avec talent par les artisans maison emmenés par l’artiste Sarkis.

Bernardaud Collection Kintsugi

Chez Bernardaud, c’est la technique du Kintsugi (rendre visible des réparations sur céramique faites avec un mélange de laque et d’or) qui a été réinterprétée avec talent par les artisans maison emmenés par l’artiste Sarkis.

Manger, une expérience holistique

Le premier regard que l’on pose sur un plat ouvre l’appétit, mais peut aussi émouvoir, amuser, voire dérouter.

Sur nos tables, le bon s’allie au beau pour faire de l’assiette un objet unique ou plutôt une expérience unique.

Nous prenons ainsi autant de plaisir à goûter un aliment sain, de qualité, local et surtout gourmand que nous en prenons à admirer l’assiette et, plus largement, la vaisselle et le décor qui l’entourent.

Aujourd’hui, la table se définit volontiers par son approche holistique. Elle contribuerait en effet à nous faire vivre un moment hors du commun en considérant l’hôte dans sa globalité en termes de bien-être.

En intégrant une véritable dimension hédonique et multi-sensorielle, en engendrant des émotions, la table se mue en une expérience gastronomique à 360°.

Les objets du quotidien peuvent même aller jusqu’à subir un véritable lifting pour devenir exploratoires et inattendus.

Sous l’égide d’artisans, d’artistes, de marques, de galeries et de manufactures qui renouvellent le genre avec talent, la table devient un terrain de jeu où toutes les expressions sont permises.

 

Les dîners expérience de Steinbeisser illustrent cette tendance en mettant en relation de jeunes créatifs et des chefs de renom autour de rendez-vous culinaires des plus originaux. Ce projet itinérant proche de la performance artistique est l’expression libre de la nouvelle scène créative où la vaisselle célèbre l’expérimentation et la recherche de nouvelles façons d’apprécier la cuisine.

Une sorte de mise à l’épreuve où l’on se confronte à de nouvelles pratiques de dégustation (lourds couverts en ferraille issus du savoir-faire de forgerons estoniens, cuillères XXL japonaises, étranges contenants…). https://steinbeisser.org

Dîners Steinbesser 1
Dîners Steinbesser 2

L’expérience des Dîners Steinbesser

 

Vous l’aurez compris, les arts de la table sont aujourd’hui multiples et cultivent même un étrange paradoxe. Alors que la vaisselle se simplifie, s’épure et se banalise afin de suivre la tendance, le goût pour la chine, le vintage et le mélange des styles n’a jamais été aussi fort. Les pièces dépareillées découvertes dans les brocantes ou chez les antiquaires font fureur. On ressort les vieilles tasses à café de nos grand-mères pour servir une mousse au chocolat, l’argenterie, que l’on conservait jalousement dans son écrin, fait son grand retour sur nos tables à côté de serviettes en lin lavé. L’esprit bohème chic que nous affectionnons s’inspire d’un joyeux mélange de styles.

À la faïencerie de Gien, on surfe d’ailleurs sur cette tendance du « Mix and Match » en éditant un service baptisé « Les dépareillés » une collection Trendy constituée d’un mélange d’anciens décors qui ont fait l’histoire de la maison. Une démarche très moderne et inédite qui a permis de séduire les jeunes grâce à une collaboration remarquée avec la boutique parisienne Merci et Le Bon Marché. https://www.gien.com/fr/collections/decors/les-depareilles-vert.html

Alors tendances les arts de la table ?

 

Catherine Seiler

Journaliste
Enseignante au CMH Paris

Faïencerie deGien. Les dépareillés vert

Faïencerie de Gien. Collection Les dépareillés