Rencontre avec le Chef Georges Blanc

Des fourneaux à la gestion hôtelière…
la recette Georges Blanc

 

Figure de proue de la cuisine contemporaine, Georges Blanc est à la tête depuis près de 60 ans de l’une des plus prestigieuses Maisons de la gastronomie française dont la renommée dépasse largement les frontières de l’hexagone. Au fil des années, il a su transformer la modeste auberge de sa grand-mère en un village gourmet et un groupe florissant. Décryptage d’une réussite hors du commun.
Maison Blanc

C’est à la fin du 19ème siècle, en 1872, il y a presque 150 ans, que le grand-père de Georges Blanc et son épouse Élisa ouvrent leur auberge à Vonnas au cœur de la Bresse. La fille du boulanger épouse le fils du cafetier limonadier et la famille Blanc écrit les premières lignes de son histoire aux allures de saga.

Celle qui deviendra la célèbre Mère Blanc investit les lieux avec talent offrant une authentique cuisine du terroir, familiale et gourmande. En 1929, la Mère Blanc, autodidacte et pionnière de la cuisine régionale acquière sa première étoile, très vite suivie d’une seconde en 1931. Dans les années 30, Curnonsky, romancier réputé, critique gastronomique et grand ambassadeur de la cuisine française, surnommé le Prince des gastronomes, célèbre d’ailleurs le talent de la Mère Blanc en lui décernant le très sérieux prix de « Meilleure cuisinière du monde ».

C’est en 1968 que Georges Blanc succède à sa mère en cuisine et à la tête de l’affaire familiale, il a alors 25 ans. A l’époque, le restaurant s’étend sur seulement 120 m2 et en cuisine on s’active autour du four à charbon pour élaborer de savoureuses spécialités du terroir, escargots, cuisses de grenouille, quenelles de brochet et bien sûr l’incontournable volaille de Bresse.

Travailleur acharné et cuisinier exigeant, Georges Blanc ne laisse rien au hasard et apprend surtout à se réinventer au fil des années afin de coller à son époque sans se laisser dépasser par les transformations de la cuisine contemporaine et surtout de rester « à la page » comme il le rappelle en souriant.

En 1981, sa table, déjà très réputée dans la région, est la seule du millésime à obtenir la récompense suprême, une troisième étoile au Guide Michelin. Aujourd’hui, conserver cette troisième étoile demeure un enjeu de taille à une époque où la gastronomie n’a jamais été aussi en vogue mais également aussi fragilisée.

 

« Ma plus grande fierté est d’avoir su conserver notre troisième étoile depuis presque 40 ans »
Cuisinier et gestionnaire, le secret de la réussite

 

Lorsqu’il reprend les rênes de l’affaire de famille, elle emploie 10 personnes. Aujourd’hui, le groupe Georges Blanc compte près de 200 collaborateurs et la modeste auberge de famille s’est muée en un village de 6,5 hectares dédié aux amoureux de la gastronomie française.

En quelques années, ce Chef visionnaire rachète une trentaine de maisons situées autour du restaurant initial et crée un lieu unique. Trois restaurants, trois hôtels, quatre piscines, des hébergements aux atmosphères variées, un château, le Village Blanc constitue aujourd’hui une destination à part entière. On vient bien sûr y déguster la cuisine triplement étoilée du Chef mais aussi se détendre dans le magnifique spa orienté plein sud, ensoleillé du matin au soir. Avec 80 chambres et une offre d’hébergement éclectique, la maison attire une belle clientèle régionale qui vient s’y détendre le temps d’un week-end, mais également des visiteurs internationaux attirés par la table triplement étoilée labellisée Les Grandes Tables du Monde et Relais et Châteaux.

Le secret de cette réussite ? Être conscient que produire et vendre sont deux métiers totalement différents et qu’il faut impérativement savoir faire les deux !

 

S’il a débuté en cuisine, Georges Blanc a rapidement endossé le costume de gestionnaire hôtelier avisé. Aujourd’hui, ses hôtes viennent vivre une véritable expérience à 360° dans sa Maison. Du petit déjeuner au coucher, ils savourent la douceur de vivre de la Bresse et se laissent séduire par ce riche patrimoine gastronomique porté par une équipe aux petits soins.

Pour le propriétaire, il est très vite devenu évident qu’au-delà de la proposition gastronomique, il fallait avant tout créer une atmosphère propice à la détente et aux plaisirs des cinq sens. La nature est ainsi très présente dans le domaine. Beaucoup d’espaces verts ont aménagés et le joli jardin de l’ancienne auberge s’ouvre aujourd’hui sur un vaste parc arboré et fleuri.

 

Au cours des dernières décennies, Georges Blanc a su comprendre que pour continuer à être attractive, son offre devait se diversifier et s’étoffer. En 1990, il décide donc de rendre un hommage gourmet aux trois générations qui l’ont précédé en redonnant vie à l’ancienne auberge des Mères Blanc dans le bâtiment initial de la fabrique de limonade de son grand-père qu’il venait de racheter. Le répertoire traditionnel de cuisine de celles qu’il appelle les mères cuisinières est brillamment remis à l’honneur. On a conservé précieusement les registres et cahiers contenant les recettes emblématiques de la famille qui sont ici reproduites quasiment à l’identique.

 

Aujourd’hui, si le restaurant gastronomique représente 95% de son engagement personnel, il ne représente que 20% de l’activité et du Chiffre d’Affaires global de la propriété. Sa force a donc résidé dans sa clairvoyance qui l’a poussé à investir chaque année afin de développer son affaire avec bons sens.

 

« Cuisinier c’est un métier, restaurateur, c’est un autre métier ! »

 

Son atout majeur est certainement d’avoir réalisé très tôt que la réussite d’une entreprise, quelle qu’elle soit, demeure avant tout de comprendre le client et de savoir se mettre en position de lui répondre.

Une scène gastronomique hors du commun

 

Il est presque 19 heures et derrière les fourneaux, c’est une brigade cosmopolite qui s’active sous le regard bienveillant du Chef.

Comme il l’affirme volontiers, un restaurant gastronomique, c’est comme un théâtre ! On y joue deux représentations par jour et, en coulisses comme sur la scène, les acteurs s’affairent pour le bonheur des spectateurs, ou plutôt des hôtes. Georges Blanc aime à dire qu’il y tient le rôle principal, celui du Chef d’orchestre avisé.

Chaque jour, tout doit être parfait, depuis le premier amuse-bouche jusqu’au dernier dessert.

Côté salle, le personnel porte une grande attention à chaque détail et le temps s’écoule tout en douceur. Les assiettes sont droites, épurées, le Chef aime à dire que c’est le premier regard qui compte et qui donne une indication sur la saveur des mets.

 

Depuis quelques années, les métiers de la cuisine se sont transformés, il s’agit de maintenir un niveau de cuisine très élevé pour conserver sa réputation sur la scène culinaire française, mais aussi internationale. Lorsqu’il a débuté, sa cuisine comptait moins de 10 personnes, aujourd’hui elle en compte 35. Si la carte proposait au départ 28 plats, elle en offre maintenant 16 et le restaurant compte deux fois moins de couverts. Un recentrage nécessaire pour offrir le meilleur et un savoir-faire de plus en plus pointu.

 

« Notre cuisine est devenue très technique, très pointue, tout est calculé et fait au dernier moment afin d’obtenir la profondeur de goût, la fraîcheur d’expression »

 

Amoureux des bons produits, Georges Blanc ne laisse rien au hasard et s’entoure des meilleurs producteurs locaux dont il est très proche. Il préside l’AOC Volaille de Bresse et se plaît à défendre ce label de son terroir réputé dans le monde entier.

Soucieux d’offrir la meilleure qualité dans tous les domaines, il a même créé une boulangerie en hommage à son grand-père afin d’alimenter ses restaurants mais aussi de régaler ses clients qui ne manquent pas de repartir avec quelques souvenirs gourmands.

Une magnifique cave à vins qui renferme une sélection très affutée de bouteilles complète l’expérience.

Être sans cesse créatif tout en restant dans la lignée de la Maison et posséder au plus profond de soi l’envie de faire plaisir, voilà les deux lignes directrices qui permettent à Georges Blanc de tenir le cap. Confiant en l’avenir, le Chef souligne seulement avec tristesse le manque de temps de certains de ses hôtes qui veulent manger de plus en plus rapidement et ne savent plus prendre le temps de déguster.

Il ne se passe pas un service sans que le Chef ne sorte de sa cuisine à la fin du repas pour faire un tour de salle avec sa bonhommie légendaire. Cartes sous le bras, il s’enquiert en souriant du confort de ses clients qui le reçoivent à leur table avec plaisir. Après s’être prêté au jeu des questions et avoir écouté leurs suggestions, il n’est pas rare qu’il leur dédicace un exemplaire de sa majestueuse carte afin de prolonger l’expérience même après leur départ.

 

A la tête de son vaisseau amiral, Georges Blanc a très vite su prendre sa destinée en main jusqu’à créer une véritable légende gastronomique. À 77 ans, depuis son fief de Vonnas, il préside avec toujours autant de charisme et de bonheur à la destinée de ses Maisons. Gageons que ses enfants sauront en prendre de la graine et reprendre le flambeau avec autant de talent et de gourmandise.

 

 

Catherine Seiler

Journaliste
Enseignante au CMH Paris