Crédit photo :  Hôtel Prince de Galles – Suite Lalique

Après de longs mois d’hibernation, l’hôtellerie de luxe parisienne avait rouvert, à la rentrée, les portes de ses Maisons, avec un bonheur mêlé d’appréhension.
La nouvelle du second confinement début novembre a marqué une nouvelle fois le désarroi de tout le secteur. Cette crise qui se prolonge prive durablement Paris et la France de ses touristes, mettant en danger la pérennité de certaines Maisons.
Si les premiers bilans et l’avenir sont teintés d’incertitudes, les hôteliers font preuve d’une résilience et d’un esprit positif qui constituent assurément la force d’un secteur qui a pris de plein fouet l’une des crises les plus graves de son histoire.

Décryptage d’une reprise méritante.

Si l’on s’en tient aux chiffres, ils sont bien sûr plutôt alarmants. Cette crise d’un nouveau genre, inattendue et totalement incontrôlable pour le moment a eu pour effet la fermeture cet été d’une chambre sur deux à Paris, une chute vertigineuse du Taux d’Occupation (10% à 15% seulement d’occupation dans le luxe ce qui ne permet pas la rentabilité), une baisse de 82,6% de RevPAR (l’indice qui mesure l’activité des hôtels) et une perte de la moitié du Chiffre d’Affaires des Palaces parisiens depuis mars, soit environ 360 millions d’euros. Vanguelis Panayotis CEO de MKG Consulting, souligne même que « sans les mesures de soutien national, nous aurions été proches de l’apocalypse ».

Avec la seconde vague, le taux d’ouverture des hôtels qui était remonté à 73% au 1er octobre, est retombé à 58% à Paris. Et les résultats trimestriels, déjà en forte baisse, sont en chute libre avec un recul de 75% des recettes par chambre comme le souligne Christophe Laure, Président du pôle hôtellerie haut de gamme de l’UMIH.

Malgré cette fragilisation historique de l’ensemble du parc hôtelier du segment luxe, les hôtels ont choisi la résilience et ont décidé de rouvrir et de tenir le cap en espérant des jours meilleurs dès le printemps prochain.

Crédit photo :  Hôtel de Crillon – Façade entrée

La réouverture, une responsabilité sociétale

Si à la fin de l’été la reprise annoncée s’avérait plus que morose, la majorité des Palaces a pourtant choisi d’accueillir à nouveau ses clients dès la rentrée, invoquant leur responsabilité sociétale dans cette reprise. C’est ce que soulignait notamment François Delahaye, Directeur des opérations de Dorchester Collection (Hôtels Meurice et Plaza Athénée), dont les propos sont confortés par de nombreux autres directeurs.

Vincent Billiard Directeur Général de l’Hôtel de Crillon estime pour sa part que la réouverture précoce de son hôtel (dès le 24 août) a montré la voie à la reprise de tout l’écosystème du luxe parisien. « Il s’agissait avant tout de rouvrir les hôtels coûte que coûte pour faire revivre Paris, soutenir les musées, le transport aérien, le commerce mais également les fournisseurs, producteurs et autres acteurs du secteur de l’Hospitality ».

Être présent pour maintenir le lien si particulier qui existe entre les Maisons de luxe et leurs clients, tel était alors le mot d’ordre.

« Nous sommes au centre d’un écosystème, nous avons joué notre rôle dans la reprise, nous considérions cela comme un devoir » Vincent Billiard DG Hôtel de Crillon

Une responsabilité sociétale qui s’applique aussi et surtout envers les collaborateurs de ces Maisons exclusives auprès de qui il s’agit, non seulement de garder le lien, mais aussi de préserver la motivation.

Crédit photo :  Hôtel de Crillon – Jardin d’hiver

Une gestion quotidienne délicate

Il y a quelques semaines, s’est tenue la traditionnelle Fashion Week automnale parisienne dont les participants sont généralement très friands des services offerts par les Palaces. Mais l’édition 2020 s’est déroulée à minima, privilégiant le digital et les shows devant un public très restreint, de quoi ajouter à la morosité ambiante. Un exemple qui démontre que dans cet environnement incertain où les réservations sont à la fois en dent de scie et totalement imprévisibles, la gestion quotidienne d’un hôtel de luxe devient un véritable casse-tête.

Comment adapter au mieux son activité afin de tenir le cap dans un contexte d’alerte maximale où les étrangers tributaires des vols longs courriers sont absents (ils constituent habituellement 80 à 90% du mix clientèle des Palaces) et où la clientèle d’affaires peine à revenir ?

Le principal enjeu demeure la gestion des coûts et en premier lieu ceux de personnel. Un Palace parisien, ce sont en moyenne 400 à 500 collaborateurs garants de l’excellence de la Maison. La France compte 31 palaces (dont 12 à Paris), soit environ 10 000 salariés. Comment maintenir de telles charges alors que les hôtels tournent au ralenti ?

L’hôtellerie de luxe, comme tout le secteur, a pu bénéficier du dispositif de chômage partiel mis en place par le gouvernement, sans lequel la survie aurait été difficile. Concrètement, aujourd’hui, en moyenne 30% des effectifs travaille par roulement afin que la quasi-totalité des équipes puisse être présente à tour de rôle. « Ce roulement équitable entre les collaborateurs est absolument nécessaire pour maintenir l’émulation au sein des équipes » précise Gerald Krisheck Directeur Général du Prince de Galles.

En outre, tous les hôtels doivent répondre à un enjeu de taille, maîtriser les coûts de gestion quotidienne sans pour autant nuire à la qualité de l’expérience client. Les exploitants s’accordent sur ce point à dire que cela est possible car les faibles taux d’occupation des établissements de luxe de capitale permettent de ne pas rouvrir toutes les chambres et de se concentrer sur un nombre réduit d’étages. Certaines charges fixes demeurent néanmoins.

Les remèdes

Si aucune solution miracle n’est à attendre pour l’heure, les exploitants recherchent au quotidien les moyens de limiter la casse tout en maintenant la satisfaction client au plus haut.

Et les solutions alternatives ou innovantes ne manquent pas.

 

1. S’adapter

Restrictions, fermetures, confinement, couvre-feu, alors que les annonces se succèdent pour coller à la situation sanitaire, difficile d’anticiper l’activité à venir. Il s’agit donc d’être attentif et adaptable afin de pouvoir répondre aux demandes last minute qui se multiplient mais aussi d’offrir des services adaptés à cette nouvelle clientèle plus locale et parfois moins coutumière des lieux. A en croire Vincent Billiard, lorsque l’Hôtel de Crillon a ouvert son Rooftop éphémère à la fin du mois d’août, il ambitionnait ainsi de capter une clientèle locale qui n’osait pas forcément pousser les portes de l’hôtel pour venir boire un verre sans y résider. En proposant aux clients parisiens d’emprunter l’ascenseur situé juste à l’entrée pour atteindre le Rooftop, sans avoir à traverser tout l’hôtel, l’Hôtel de Crillon a contribué à démystifier leurs craintes vis-à-vis des Palaces. Même réflexion menée par le Ritz qui a installé dès le mois de juin un comptoir de pâtisseries sur la Place Vendôme afin de faire déguster au plus grand nombre les créations de son Chef pâtissier et de garder le lien avec ses clients tout en captant les personnes qui se promènent dans le quartier. Une expérience renouvelée durant les fêtes de fin d’année.

Crédit photo : Salon JK Place

Lorsque la vie parisienne a dû s’adapter au couvre-feu, les hôtels de luxe ont chacun trouvé leur stratégie face à l’absence de touristes. JK Place dans le 7éme arrondissement proposait par exemple une nouvelle offre comprenant un dîner, une nuit en chambre supérieure avec petit déjeuner et un accès au spa. Vous dînez. Et bien restez dormir !

Au Bristol, à chaque nouvelle annonce, on se bat pour trouver des solutions, le restaurant gastronomique triplement étoilé Épicure a dû se résoudre à fermer à nouveau. Mais toutes les forces se concentrent sur le Room Service et sur l’épicerie de noël qui offre toutes les gourmandises des chefs de la Maison en Click en Collect.

S’adapter, c’est aussi comprendre la situation économique générale, savoir rester sur le qui-vive, s’accommoder en live des changements et être ultra réactif. Un enjeu de taille qui s’appuiera nécessairement sur la créativité et l’agilité des hôteliers.

2. Gagner la bataille de la réassurance

Dès qu’il s’agit de leur santé, les français sont méfiants, les faire revenir à l’hôtel constitue donc un pari de taille. Si les normes imposées par le gouvernement sont déjà très strictes, les hôtels ont, dès le début du confinement, travaillé sur la mise en place de protocoles distincts afin de gagner la confiance de leurs clients à la réouverture.

Au Prince de Galles, des films anti viraux garantis 5 ans ont été installés sur toutes les poignées de portes des espaces publics, des spray électrostatiques sont diffusés la nuit dans les espaces publics ainsi que dans ceux dédiés au personnel et une attention toute particulière est portée aux chambres, autant de procédures mises en place dans le cadre du programme international du groupe Marriott « Commitment to clean ». Le Bristol s’est lui équipé de tapis de décontamination et d’un portail de désinfection des bagages tandis qu’une infirmière est constamment présente dans l’hôtel. Au Crillon, de nouveaux équipements ont été commandés afin de traiter chaque zone selon les besoins et des protections en plexiglass ont été installées dans les espaces publics. Après le départ des clients, les chambres ne sont pas réaffectées durant 24 heures afin d’être correctement désinfectées et aérées

QR code pour accéder au menu du restaurant, check-in et check-out via les téléphones mobiles, si aujourd’hui grâce au digital beaucoup d’opérations peuvent s’effectuer à distance, Vincent Billiard constate cependant que la majorité des clients préfère toujours passer par la réception afin de préserver le contact humain si important dans l’expérience hôtelière de luxe.

Quoiqu’il en soit, tous s’accordent à dire que la réassurance ne pourra venir que de l’annonce d’un vaccin efficace et fiable. C’est elle seule, pourra déclencher le désir de voyager à nouveau.

3. Innover

Si L’innovation a toujours été nécessaire dans l’hôtellerie afin de se démarquer, d’attirer de nouveaux clients mais également de fidéliser les anciens, elle joue aujourd’hui, plus que jamais, un rôle de taille.

Face à la crise, l’innovation passe avant tout par le digital qui simplifie et repense la relation client et le service en créant de nouvelles interfaces de communication plus agiles. À travers le digital l’enjeu des Maisons du luxe demeure donc d’offrir une expérience numérique de haute volée et tout aussi unique que l’expérience in-situ. Il s’agit de conforter sa base de données afin de mieux connaitre ses clients mais également de leur donner accès à une expérience globale en ligne depuis la demande de réservation jusqu’à la fin du séjour et après leur départ de l’hôtel.

C’est en réussissant sa transition numérique que l’hôtellerie de luxe pourra s’adapter au mieux à cette crise.

Innover mais également communiquer afin de promouvoir les nouvelles offres est essentiel pour la survie des Maisons de luxe.

Les réseaux sociaux, utilisés à bon escient, s’avèrent être un outil précieux et à moindre coût en ces temps de crise.

Crédit photo : Chef Simone Zanoni dans le potager du roi à Versailles pour le Four Seasons Hôtel George V à Paris

Il s’agit de se démarquer en proposant des expériences hors du commun qui donneront aux clients l’envie de revenir à l’hôtel pour vivre un moment mémorable. Au Four Seasons Hôtel  George V, la rentrée avait ainsi été placée sous le signe du sur-mesure. La Maison a imaginé toute une série d’offres et d’expériences inédites notamment autour de la gastronomie et joyeusement partagées sur Insta ou Facebook. Au menu, la visite du Domaine de Madame Elisabeth à Versailles où l’on découvre le potager du restaurant gastronomique de l’hôtel. Et c’est le Chef Simone Zanoni qui conduit personnellement les hôtes à bord d’une Porsche Panamera électrique !

Crédit photo : Hôtel Prince de Galles – Bar 1920

Au Prince de Galles, le Bar 1920 a déménagé en lieu et place de l’ancien restaurant et s’est refait une beauté pour offrir une toute nouvelle expérience lounge plus cozy, du petit déjeuner à l’apéritif en passant par le Tea Time. Et très prochainement, un restaurant japonais ouvrira ses portes, une offre très innovante dans le quartier.

Malgré les circonstances, il est rassurant de constater que les hôteliers gardent le cap. Si l’hôtellerie de luxe parisienne a le blues, ses acteurs n’en demeurent pas moins combatifs en adaptant continuellement leurs offres à la situation. L’un des porte-voix de ce combat, Emmanuel Sauvage, cofondateur et Directeur Général de la collection EVOK HOTELS, considère que les hôtels qui surmonteront la crise sont ceux qui sauront « réadapter leur manière de travailler, aller de l’avant, mettre de nouvelles actions en place afin de capter des clientèles plus locales et de nouveaux segments ».

 

La résilience des hôteliers devra sans conteste se teinter d’audace afin de préserver un secteur traditionnellement si porteur de l’excellence à la française.

 

« Continuons à nous concentrer sur nos valeurs, notre culture d’entreprise, restons positifs et préparons l’avenir au mieux ! » Vincent Billiard

Crédit photo : Four Seasons Hôtel Georges V – Paris sera toujours Paris !

Catherine Seiler